À Bretoncelles, en décembre 1974, les ouvrières et ouvriers de l’équipementier Piron, confrontés à une menace de fermeture, se mettent en grève, occupent l’usine et licencient leur patron. Ce geste radical résonne loin, on en parle dans Ouest France, Le Perche, Libération et même Le Monde. Commence une longue lutte pour maintenir l’intégralité des emplois.
Quand les ouvriers doivent quitter l’usine, ils occupent la mairie de Bretoncelles, n’est-ce pas la « maison du peuple » ?
Enfin, ils se replient sur la salle des fêtes. Des comités de soutien se créent de Mortagne à Chartres ; lycéens, enseignants, agricultrices et agriculteurs se mobilisent.
Si certains découvrent à cette occasion Pablo Neruda, le théâtre engagé ou la lutte des classes, d’autres sont très hostiles à ce remue-ménage « gauchiste ».
Les événements font naître un groupe militant qui multipliera les actions, rassemblements, manifestations, à Bretoncelles et ailleurs.
L’usine est réoccupée et les machines, devenues un « trésor de guerre » sont cachées. La police est de plus en plus présente, les renseignements généraux aussi… Les répercussions de cette lutte se feront sentir au moins jusqu’en 1979.
Historique de la grève
Extrait du texte d’Antoine Rubinat un des animateurs de la lutte, délégué syndical CFDT chez Piron
Piron, Bretoncelles, 1974-1976 :
21 mois de lutte, dont 6 semaines d’autogestion ouvrière
Situés en zone rurale, les établissements PIRON installés en Perche Ornais étaient une entreprise de sous-traitance (Renault, Citroën, CEPEM, etc.), employaient en majorité une main-d’œuvre féminine, issue pour la plupart de la petite paysannerie, et dont le salaire vient compléter le maigre revenu de la ferme.
Dans cet après 1968, l’installation de Piron en zone rurale, venant de la région parisienne, correspond déjà à une délocalisation et à tous ses avantages inhérents. Aucun respect des conventions collectives (salaires, classification professionnelle, horaires, hygiène et sécurité) pour la majorité du personnel.
Par contre, les quelques professionnels de l’outillage ont un salaire égal à celui de la région parisienne, achetant par là leur silence, entretenant la division et le calme dans l’entreprise.
La violence intrinsèque à l’entreprise est terrible : licenciements, brimades, accidents de travail (entre 1970 et 1973, 8 accidents du travail par amputation des doigts ou de la main complète, œil crevé, fracture, écrasement et autres). La riposte des salariés est puérile, les hommes allant uriner en cœur sur la voiture de sport du fils Piron.
La section syndicale prend toutes ses responsabilités, mais l’action revendicative est toujours discutée en assemblée générale du personnel.
Mise en place d’un Comité d’Hygiène et Sécurité avec droit de bloquer une machine ou un poste défectueux sur plainte d’un salarié. Aucun accident du travail grave en 1974 – la convention collective est strictement appliquée.
Brusquement, la direction annonce 26 licenciements, dont plusieurs cadres de l’entreprise. La section CFDT organise l’action : non seulement les licenciements sont annulés, mais tous les O.S. obtiennent une augmentation de 80 centimes de l’heure.
Le 11/12/74, la direction annonce officiellement au C.E. la fermeture de l’entreprise.
Le 12/12/74, spontanément, les travailleurs arrêtent leurs machines. À 9h30, la direction convoque le CE. L’ensemble du personnel occupe le bureau, les couloirs, l’administratif. La direction confirme le dépôt de bilan.
Simultanément, les travailleurs s’opposent à plusieurs chauffeurs et à l’huissier qui venaient récupérer un ensemble d’outils de découpe, appartenant à la CEPEM, Renault, Citroën.
15h30 : les travailleurs décident en assemblée générale d’expulser Piron Père et Fils de l’entreprise.
À 17h30 un Comité de lutte de 12 membres est élu : il comprend la CFDT majoritaire, FO, les non syndiqués, les cadres.
Un communiqué de presse est rédigé. Il dit notamment : « Devant le cynisme et l’inutilité de la direction, devant son incapacité permanente à résoudre les problèmes posés, devant sa volonté délibérée de saboter l’outil de travail qu’est notre usine, les travailleurs ont décidé d’expulser Mrs Piron Père et Fils de l’entreprise. »
L’usine est sous notre garde. Toutefois, la production continue, les clients sont livrés. Le directeur commercial de Renault se déplace, inquiet. Nous lui assurons les livraisons dans la mesure du paiement de la production – qui sera réparti en assemblée générale en fonction des besoins.
Une partie des travailleurs est à la production, l’autre partie aux différentes commissions (gardes de nuit, repas, popularisation de la lutte et contrôle financier). La production et les commissions sont tenues à tour de rôle. À aucun moment l’autogestion n’a été abordée, mais elle est de fait.
Une assemblée générale a lieu chaque matin avant la reprise du travail. Le comité de lutte est révocable. Toutes les décisions, tant du point de vue de la production que des différentes commissions y sont examinées. Les cadres n’ont d’autre pouvoir que celui de leur compétence. Cette situation crée rapidement une dualité entre ouvriers et cadres : ces derniers sont expulsés. Quelques éléments de FO tentent un coup de force pour prendre le contrôle de la fabrique : ils sont repoussés.
La diffusion du conflit est, dans un premier temps, un des objectifs principaux du Comité de Lutte. Fin décembre, une centaine de personnes se retrouve dans une salle paroissiale de Moutiers-au-Perche pour créer et coordonner des Comités de Soutien aux travailleurs de Bretoncelles. Groupes ouverts à tous, sur la base d’un soutien aux initiatives des ouvriers en lutte, mais autonomes par rapport à ces derniers.
Les objectifs sont définis :
1 – Populariser au maximum la lutte et organiser la solidarité financière et matérielle.
2 – Diffuser l’information.
3 – Faire pression sur les pouvoirs publics pour favoriser un règlement acceptable du conflit.
La coordination de ces groupes est assurée par un bureau composée d’un représentant de chacun des Comités de soutien.
En quelques semaines, 14 comités de soutien sont constitués dans la région.
Une vingtaine de tonnes d’outils de découpe – estampage, cambrage —, propriétés des clients, Renault en priorité, sont mis à l’abri « comme trésor de guerre ».
Parallèlement, les problèmes de matière première commencent à se faire sentir. Les banques ne versent plus l’argent des salaires. Le tribunal, par ordonnance de référé, décide l’expulsion des travailleurs.
L’Union régionale CFDT prend ce parti et fait un « forcing » pour que nous évacuions les ateliers. Dans la nuit, en assemblée générale, la décision est mise aux voix. Deux tendances se font jour : l’une, soutenue par Antoine R., veut se maintenir dans l’unité de production ; l’autre, représentée par Joseph L., propose de quitter tout simplement l’usine – sans autre perspective qu’une hypothétique rencontre avec les pouvoirs publics. La position de l’Union régionale pèse lourd et crée une division importante. À quelques voix près, l’évacuation est décidée.
Cette décision est terrible de conséquences. En une nuit, les travailleurs présents dans l’occupation de l’usine passent de 70 à 30 pour décider l’occupation de la Mairie, puis de la salle des fêtes.
Toutefois la lutte continue. Un appel à la coordination des luttes réunit 1300 à 1400 personnes (selon Ouest-France) dans la salle des fêtes de Bretoncelles occupée. Contact avec [les entreprises en lutte] Caron Ozanne, Briare, Bigchief, Manuest, LIP, etc. Coordination des luttes avec les Paysans Travailleurs : manifs communes, présence physique lors d’expulsions de paysans par les gardes mobiles. Appel à l’auto-défense ouvrière et la coordination des luttes par une affiche éditée par Caron Ozanne en grève. Vente de viande, d’œufs, de lait à prix réduits par les paysans présents dans les Comités de soutien.
D’actions en actions, d’occupation en occupation, avec un soutien sans réserve des Comités de soutien et d’organisations d’extrême gauche, après 21 mois de présence continuelle sur le terrain, un accord verbal est conclu entre Joseph L., Antoine R. et un repreneur. Les travailleurs encore au chômage en faisant la demande seront repris sans exclusive, à condition que Joseph L. et Antoine R se retirent. L’accord a été conclu, le contrat a été respecté.
Quelques mois après, un accident travail cause l’amputation d’une main d’une ouvrière aux presses.
Antoine Rubinat
En février 1979, privés d’emplois et sur les listes noires des entreprises de la région, les deux leaders du conflit Piron, Antoine Rubinat et Joseph Le Berre, entament une grève de la faim dans l’église de Mortagne pour exiger un emploi décent.
Il faudra 17 jours de jeûne des grévistes pour que les pouvoirs publics trouvent une solution d’emploi.